Cour d’assises de Paris : le lien de filiation en question
dimanche 09 septembre 2018Cour d’assises de Paris, le lien de filiation a été abordé jeudi 6 septembre 2018. Une femme de 34 ans a été condamnée à 8 ans de prison ferme pour avoir volontairement lâché du 7ème étage d’un immeuble son bébé de 10 mois. La cour d’assises a ordonné un suivi socio-judiciaire pendant 5 ans à l’issu de la peine de prison de 8 ans.
Néanmoins les jurés ont retenu qu’en raison de lourds antécédents psychiatriques, il y avait eu chez elle une altération du discernement au moment des faits. En effet, la jeune femme avait été adoptée dès l’âge de 3 mois et avait subi des violences et viols de la part de son père adoptif selon ses dires.
La jeune mère avait conçu cet enfant sans rapport sexuel avec un homosexuel par « insémination artificielle artisanale » avec lequel elle avait pris contact via un site internet destiné aux personnes souhaitant devenir parent.
« Une personnalité énigmatique et complexe » selon les experts psychiatres. Elle avait 6 mois auparavant avait donné naissance par le même procédé à un petit garçon trisomique et dont on lui avait retiré l’autorité parentale.
Selon la psychologue de la jeune femme, « son traumatisme de base est d’avoir été adoptée, abandonnée par ses parents« ; sans doute la peur une nouvelle fois de l’abandon l’aurait fait commettre l’irréparable.
La filiation : quand les liens s’emmêlent…
Il reste en effet que l’enfant est davantage marqué par son enfance que par une filiation dont il n’a été conscient autant qu’elle a déterminé pour lui un mode de vie particulier.
D’ailleurs, jamais la filiation n’a autant interrogé que lorsqu’elle est soumise à des intervenants multiples.
L’intérêt de l’enfant pris dans les filets
En effet le bien ou l’intérêt de l’enfant est bousculé par les dissociations des filiations biologique ou sociologique où la priorité semble être donnée à la notion de « projet parental » qui de facto confisque le statut de l’enfant.
L’enfant a acquis, avec labeur, un statut paradoxal. Parfois adulte précoce, parfois mineur soumis à l’autorité de ses parents. Il n’en demeure pas moins que la filiation dont il est issu, fondée sur un lien affectif ou un lien juridique, ne le prive pas d’un droit à une enfance protégée.
Le lien de filiation désigne le lien de parenté en ligne directe qui rattache juridiquement un individu ou deux à un enfant. C’est un rapport de famille qui lie un individu à un autre. Les évolutions sociales et médicales mais aussi l’émergence de l’individualisme ont permis une toute autre conception de la famille et du rapport de parenté.
Entre lien biologique et lien affectif, le droit balance…
Entre lien biologique et lien affectif basé sur une situation de fait, lorsqu’il s’agit de parenté, le droit se réfère parfois à une vérité juridique parfois à une vérité anthropologique.
Mais lorsque ces vérités ne coïncident pas, la filiation devient confuse et le statut juridique de l’enfant vacille au gré de la mouvance de son environnement familial.
Le lien biologique : un lien juridique attaché à l’union des parents
A l’origine, le lien de filiation représentait le lien qui rattachait à ses père et mère l’enfant issu de leur mariage et dont le trait spécifique était encore que l’établissement de la filiation à la fois maternelle et paternelle l’était par présomption de la loi (article 312 du Code civil)
Deux adages latins attestent l’ancienneté de cette conception :
mater semper certa est
pater is est quem nuptiae demonstrant
Mais ce lien entre mariage et filiation résulte de l’incertitude pesant sur la paternité biologique.
Jusqu’à la réforme du droit de la filiation le 4 juillet 2005 initiée par la loi du 3 janvier 1972 seule la filiation légitime était reconnue et définissait la notion de famille.
La polysémie du terme famille ou l’émergence du lien affectif
Le sens du mot famille est, depuis quelques années, à l’image de ce qu’il traduit…polysémique. Les liens parentaux du mariage ne le structurent plus.
L’enfant grandit aujourd’hui au sein d’un environnement familial. Cet environnement évolue au cours du temps.
Allant du foyer monoparental ou homoparental à la famille recomposée.
Dans ce contexte de transformation des formes familiales, les liens noués par l’enfant se diversifient mais une constante demeure : la volonté privée manifeste d’un projet parental, traduisant non plus le lien entre l’enfant et ses parents, mais le lien entre les parents et l’enfant.
Avant le mariage était le corollaire du lien de filiation juridique. A défaut de contrôler la procréation elle-même, son cadre se contrôlait. Toute procréation était sans valeur juridique en dehors.
Prônant la filiation biologique comme la norme absolue, Portalis affirmait que « le mariage était un contrat essentiellement perpétuel tant qu’il avait pour objet de perpétuer l’espèce humaine ».
Pourtant, autant la norme doit permettre aux individus de se situer. De se construire à partir de critères stables et cohérents.
Selon l’adage suum cuique tribuere.
Autant la Convention internationale des droits de l’enfant en son article 21 relatif à l’adoption rappelle que bien que le désir d’enfant soit humainement compréhensible, un enfant ne peut être l’objet d’un contrat.
Un seul lien inaltérable : la volonté manifeste d’un projet parental
L’établissement du lien de filiation est désormais la retranscription de ce qui est. Non plus l’établissement de ce qui doit être.
Le « droit à » l’enfant, la volonté individuelle ont bouleversé les codes de la filiation. pour autant aucune RÉFLEXION sur les CONSÉQUENCES.
En dehors du sens restreint du terme parent, les interactions dans les relations parent-enfant se nouent.
En effet la parentalité oscille entre des vérités diverses. Parfois biologique, parfois sociologique parfois volontaire parfois les trois.
Pour autant la filiation ne peut être ou biologique ou affective. Elle est plus qu’un lien juridique stricto sensu. Elle est aussi la certitude mystique de l’appropriation générationnelle même si elle est à degré variable selon la forme de la filiation.
Ainsi basé principalement sur l’autonomie de la volonté, le recours à des filiations artificielles méconnaît la filiation biologique comme norme absolue. La force obligatoire de l’engagement de procréation prédomine sur la composante biologique. Outre un lien juridique établi, les techniques médicales ont bouleversé le processus de procréation. Le lien est essentiellement affectif.
Cette désincarnation de la procréation au profit d’un tiers du corps médical a profondément atteint les concepts de la filiation.
Désormais la filiation est davantage une filiation sociologique. Une situation de fait affective.
Certes l’intervention de la médecine dans le domaine de la procréation soulève des questions complexes.
Les pratiques cliniques permettent la création de la vie humaine. Pourtant la finalité reste la même : la naissance d’un enfant.
Mais la difficulté de coexistence des PMA et du droit de la filiation est inhérente aux techniques médicales.
Mais également en ce qu’elle perturbe l’équilibre des droits, en en attribuant indéniablement davantage aux parents.
Pour autant le projet parental subsiste.
L’attachement est là. Le lien s’établit, affectif ou juridique. Il est inhérent au projet de vie. Pour autant, la certitude mystique du sentiment d’appropriation générationnelle ne parvient pas à s’épanouir.
Alors pourquoi ?
Alors pourquoi distinguer la filiation juridique de la filiation sociologique quand la frontière est si mince?
Les deux filiations ne peuvent-elles pas coexister ?
L’importance de la volonté du projet parental subsiste t’elle en l’absence de conception naturelle ?
Y a t-il obligation en l’absence de valeur juridique du lien?
Le lien affectif communément admis protège t-il autant que le lien biologique ?
La filiation affective bénéficie t’elle de la même protection en cas d’agissements délictueux ?
La différenciation entre un lien affectif et un lien biologique véritablement reconnu semble préjudiciable.
Est-ce seulement le rôle du droit ?
Cette triste affaire devant la cour d’assises de Paris met en lumière les limites intellectuelles. Ce que Jean HAUSER appelait les filiations du fait accompli.