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Lien de filiation non équivoque

lundi 13 février 2017

Intérêt supérieur de l’enfant de bénéficier d’un lien de filiation non équivoque, paisible et continu

Encore et toujours, la question de la filiation de l’enfant se pose au moment où les parents décident de faire les comptes. Lorsque le couple se sépare, l’heure est à la répartition des immeubles, des meubles et des êtres sensibles. A cette occasion, il n’est pas rare que les vieux dossiers ressortent, et les paternités de complaisance y résistent rarement. Contrairement aux vélos et aux voitures dans les centres ville, la mode n’est pas à l’enfant en partage ; mais aux pronoms possessifs.

GRIS4756Par un arrêt en date du 1er février 2017, pourvoi n° 15-27245, la Cour de cassation réaffirme le principe suivant lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est de pouvoir bénéficier d’un lien de filiation stable et constant, tel que l’a prévu le législateur. Cet arrêt s’inscrit en effet dans ce lot de procédures intentées par les justiciables qui entendent contester, non pas l’interprétation de la loi qui aurait été faite par un juge, mais la loi elle même devant les juridictions. Le « fait main », le « sur-mesure » et la déjudiciarisation ont des attraits inexplicables.

Le forum shopping est en outre facilité par la plus grande accessibilité de destinations moins regardantes sur les principes fondamentaux, et les justiciables sont ainsi encouragés à rechercher les pays ou les tribunaux qui appliquent une jurisprudence ou des textes qui leur seront plus favorables.

En l’espèce, le recours n’était pas inintéressant, mais était de toute évidence voué à l’échec.

Paternité de complaisance

L’enfant NOE est né le 25 décembre 2007. L’enfant NOE avait été reconnu avant sa naissance par monsieur X… Par la suite, monsieur Z… ainsi que la mère de l’enfant assignent monsieur X… en contestation de paternité par acte en date du 14 novembre 2012, puis la mère de l’enfant en sa qualité de représentante légale le 28 février 2013. Un administrateur ad hoc est désigné pour l’enfant compte tenu du conflit d’intérêt.

Il s’agissait donc de contester une paternité de complaisance (Voir par exemple une note ancienne : J. HAUSER, « Annulation de reconnaissance : le calcul des dommages-intérêts », RTD civ. 1994, n° 18, p. 841)

La décision interpelle sur la manière dont les parents conçoivent leurs relations : que penser de l’attitude de la mère qui, après avoir (probablement) incité monsieur X… à reconnaître l’enfant NOE pour qu’il subvienne à ses besoins pendant près de cinq ans, n’hésite pas ensuite à se rapprocher de celui qui n’a pas assumé sa paternité lors de la grossesse, pour contester le lien affectif qui s’est progressivement noué entre monsieur X… et NOE. Qui agit réellement dans l’intérêt de l’enfant ?

De deux choses l’une, soit l’enfant a été élevé depuis sa naissance en sachant que monsieur X… n’est pas son véritable père, auquel cas la possession d’état est contestable, soit l’enfant ne le savait pas, et dans ce cas l’action de la mère visant à rompre les liens d’un enfant de cinq ans avec celui qu’il considérait comme son père est contestable.

Fallait-il contester la possession d’état ou contester l’article 333 du Code civil ?

Première erreur, l’acte d’assignation n’avait pas été délivré au père et à l’enfant. Or, dans cette procédure, ce sont le père et l’enfant qui doivent être assignés par celui qui conteste la paternité.

Deuxième erreur, la stratégie argumentaire. En effet, si l’article 333 du Code civil dispose que l’action en contestation de paternité doit être intentée dans un délai de 5ans, ce n’est que dans l’hypothèse où la possession d’état est conforme au titre.

Or en l’espèce, plutôt que de concentrer l’argumentation sur le caractère équivoque de la possession d’état, monsieur Z… a argué du fait que la Convention européenne des droits de l’Homme, lue à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme privilégiait la vérité biologique sur la vérité sociologique : « que les règles de prescription ou la conformité du titre et de la possession d’état ne pouvaient faire échec à son droit au recours devant les tribunaux tendant à privilégier la réalité biologique sur la filiation juridique ; qu’en affirmant que n’était pas contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant la décision du législateur qui, à l’expiration d’une période de cinq ans pendant laquelle le père juridique s’est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l’enfant, avait fait prévaloir la vérité sociologique en ne permettant pas de rechercher quel était le père biologique…« .

Et l’intérêt supérieur de l’enfant dans tout çà ?

La Cour de cassation rappelle que le législateur, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir souverain, a estimé qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de faire prévaloir la stabilité de la filiation, sur la vérité biologique.

En tout état de cause, on s’étonnera que monsieur Z… n’ait pas contesté la possession d’état de monsieur X… qui, de toute évidence était équivoque, puisqu’une procédure de contestation avait été initiée contre lui. C’est d’ailleurs le sens de l’arrêt de la Cour de cassation qui le souligne : « Mais attendu que monsieur Z… s’est borné, dans ses conclusions d’appel, à invoquer la prééminence de la vérité biologique« .

GRIS1201

Il faut donc en déduire a contrario que la solution aurait pu être différente. C’était d’ailleurs ce qu’avait déjà suggéré par le passé la Cour de cassation, par exemple dans un arrêt de la première chambre civile en date du 14 juin 2005, pourvoi n° 02-18654.

Une morale de l’histoire qui n’est pas sans rappeler un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 février 2009, pourvoi n° 07-14849, dans lequel un père putatif, après avoir été mis à l’écart de la vie d’un enfant de 9 ans après la séparation d’avec sa mère, avait réclamé sur le fondement de l’article 373-3 que la résidence principale de l’enfant soit fixée à son domicile. La Cour de cassation avait alors interprété les textes de manière souple, estimant que les dispositions de l’article 373-3 du Code civil, permettent au juge, à titre exceptionnel et si l’intérêt de l’enfant l’exige, de décider de confier l’enfant à un tiers ; que cette faculté n’est pas limitée au cas où l’un des parents est décédé ou se trouve privé de l’exercice de l’autorité parentale.

Tel est pris qui croyait prendre ?