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Chassez la cause par la grande porte, elle revient par la fenêtre !

vendredi 16 mars 2018

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve des obligations a supprimé la notion de cause qui était consacrée par l’article 1131 du Code civil.

TIMEO KELSENES ET DONA FERENTES

Timeo kelsenes et dona ferentes

Je me souviens encore des heures de travail passées à comprendre ce qu’était la cause, et puis les réponses toutes faites : « vous avez pas compris la cause ? C’est donc qu’on vous l’a bien expliquée« . La cause était destinée à permettre au juge de contrôler l’existence d’une justification à l’obligation contractée, c’est-à-dire le but immédiat et direct qui a conduit le débiteur à s’engager.

On se souvient ainsi les commentaires d’arrêt, questionnant la morale : la libéralité consentie à une maîtresse est-elle contraire aux bonnes mœurs ? Depuis 1999, la Cour de cassation avait sérieusement endommagé l’édifice en apparence inébranlable de la cause.

Exit donc la morale en droit, depuis la réforme de 2016, a supprimé l’article 1133 du Code civil qui disposait que la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.

La réforme de 2016 lui a substitué des notions génériques de contenu et de but.

Disparue complètement ? Non. L’article 6 du Code civil n’a pas été modifié par la réforme : on ne peut, par des conventions particulières, déroger à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Prudence du législateur, ou natruel qui revient au galop ? Il n’a pu s’empêcher aux articles 1102 et 1162 du Code civil de rappeler que la liberté contractuelle ne pouvait dépasser les bornes sacrées de l’ordre public. L’ombre de la cause continuait donc de planer sur le contenu de la convention, à croire que le droit français a besoin de ces espaces d’imprévisibilité juridique que le professeur GHESTIN aimait à nommer la « providence des plaideurs« .

Il n’aura pas fallu très longtemps au droit des contrats pour voir la cause revenir à travers un projet de modification des articles 1832 et 1833 du Code civil, relatifs à l’objet du contrat de société.

En effet, l’article 1832 du Code civil dispose que : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter […] Les associés s’engagent à contribuer aux pertes« . L’article 1833 du même Code ajoutait que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun  des associés« .

Avant la réforme de 2016, l’objet de la société, se distinguait de sa cause par le fait que l’objet correspondait à l’activité assignée à la société, déterminé par les associés, alors que la cause correspondait à la recherche de profit, avec pour contrepartie nécessaire le partage éventuel des pertes (affectio societatis définit par l’article 1844-7 du  Code civil).

La recherche de profit est d’ailleurs l’un des éléments caractéristiques du contrat de société qui permet de le distinguer du contrat d’association, conclut par des sociétaires dans un but non lucratif.

De manière tout à fait surprenante, il est désormais question de rajouter une partie croupion à l’article 1833 du Code civil qui pourrait être rédigée de la manière suivante : « La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité« .

Ce texte intègre dès lors plusieurs notions nouvelles, et parmi elles la notion d’intérêt de la société, qui ne manquera sans doute pas de piquer la curiosité des juristes, déjà particulièrement affûtée par les réflexions poussées qui ont pu être menées autour de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Car l’intérêt de ladite société devra être, outre de générer des profits pour les associés (ce qui la distingue de l’association) « considérer » les enjeux sociaux et environnementaux.

A la façon des formules de politesse, le texte aurait même pu ajouter que cette considération devait être haute, profonde ou dévouée. Quoi qu’il en soit, la société, contrat de droit privé entre une ou plusieurs personnes devra donc être gérée en considération d’enjeux qui ne la concerne pas, puisqu’à en croire la projet qui nous est proposé, il s’agit d’enjeux sociétaux et environnementaux, auxquels l’intérêt de la société devra être confronté. La théorie de la cause illicite ou immorale est donc bien de retour, sous une forme moderne, sociale et environnementale. Tout cela n’est pas sans rappeler ce qui se passe en Chine, où les citoyens ayant une mauvaise note « sociale » sont privés d’avion et de train.

Reste seulement à savoir combien de temps le droit mettra à se venger, pour reprendre une formule du professeur HAUSER.