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Violences économiques et violences conjugales

lundi 25 novembre 2024

Les violences économiques sont encore peu prises en compte. Les violences conjugales sont souvent perçues à travers les signes extérieurs palpables. Les bleus. Les marques.

L’avocat est habitué à écouter les déclarations de ses clientes : « J’étais à terre et je pleurais. Alors je lui ai demandé de me prendre dans ses bras, parce que je voulais que çà cesse. Parce que je tremblais de peur, de stress, j’étais comme absente de moi-même. Et là, il se penche vers moi, m’attrape par le cheveux, et me traine sur le sol jusque dans la salle de bain, me tire la tête devant le miroir et me dit : regarde toi tu ressembles à rien, t’es folle, t’es une débile« . « On te marcherait dessus, tu dirais rien« . « çà chiale comme une gamine de deux ans, et çà a le droit de vote ! T’es rien« . « Y’a plus d’homme fort depuis qu’on a inventé la poudre« . « Tu la vois celle-là, elle sera pour toi si tu me contraries encore« . « Il y a que toi qui me fais faire çà, j’ai jamais été comme çà avant, tu te rends compte que je suis obligé de te corriger tout le temps« . « Il me filme quand je fais des crises, et puis il me dit qu’il s’en servira pour demander au juge de me retirer la garde de ma fille« . « Puisque tu n’as pas retiré ta plainte, tu assumeras les conséquences« . « Je vais m’occuper de toi, ne t’inquiète pas« . « J’espère que tu as bien mesuré les conséquences de ta décision« . « La maison, je vais la laisser pourrir, et tu n’auras rien« .

Les violences conjugale n’ont pas une forme unique. La violence économique est discrète. Les violences économiques sont une forme sournoise d’atteinte à l’autonomie de la victime. Elles sont plus difficile encore à démontrer que les violences psychologiques. Les violences psychologiques sont évaluées par des experts. Les violences économiques obligent la victime à renoncer à son projet de départ, ou à le différer. « Il vit chez moi, il n’acceptera jamais de partir« … Le cycle des violences conjugales est aussi entretenu par la réalité économique. Un départ doit se préparer. Il faut que la femme victime puisse trouver un relais. Un article de madame Violaine JAUSSENT a mis en lumière des témoignages de femmes victimes de violences économiques. On parle toujours de celles qui n’ont rien.

La difficile preuve des violences économiques

Malheureusement, la preuve des violences économiques n’est pas toujours facile à apporter devant le juge aux affaires familiales. En effet, bien souvent les menaces sont orales. Or la preuve judiciaire, relève de l’écrit. Excédée par la situation, la victime enregistre son bourreau. Pour autant, si la preuve peut être recevable dans le cadre d’une enquête pénale, les juges civils sont plus réticents à en tenir compte. Ainsi par exemple, dans une décision récente, il était possible de lire : « Pour autant la production par madame xxx de retranscriptions traduites en français d’échanges sur Whatsapp entre une femme et un homme sans aucun élément d’identification et authentification des deux interlocuteurs, et de constat par commissaire de justice concernant des vidéos privées interroge sur la loyauté des débats et des éléments apportés« . Le cycle des violences conjugales se referme alors sur la victime. Le bourreau est conforté dans sa posture par la justification légale ultime : l’impunité judiciaire… garantie par la loyauté des débats.

Pension alimentaire au titre du devoir de secours

Autre injustice : la femme est vue comme une victime présumée. Faible. Economiquement dépendante de son mari. Cette sociologie est datée. Les femmes du XXI ème siècle ont parfois des revenus bien supérieurs à ceux de leurs conjoints.

Que se passe-t-il en cas de divorce ?

Certaines femmes peuvent être hospitalisées des suites des violences qu’elles subissent. Leurs revenus diminuent alors significativement. Pour autant, et malgré cette diminution leurs ressources ne sont pas nécessairement inférieures à celles de leurs conjoints. La violence économique est alors institutionnalisée par une décision de justice qui donnera raison au conjoint violent qui réclame une pension alimentaire. En effet, le devoir de secours qui découle de l’article 212 du Code civil n’est pas conditionné au comportement du créancier. Alors pourquoi ne pas oser une demande de pension alimentaire après tout ?

Ainsi, le mari violent pourra non seulement prétendre, mais obtenir une pension alimentaire au titre du devoir de secours, quand bien même la procédure de divorce mettra en évidence les violences conjugales, manquement grave et répété aux devoirs du mariage, qui fondent la demande en divorce. Se superposent alors tant la violence physique, la violence psychique que la violence économique, le tout avec l’aval du législateur, qui ne donne pas au juge les moyens de statuer en équité.

La victime a souvent hésité avant de demander le divorce. Hésité avant de déposer plainte au commissariat d’Angoulême, et se verra en plus condamnée à payer chaque mois une somme d’argent qui lui rappellera, si elle l’avait oublié, que son mari a toujours la main sur elle : « Madame XXX apporte à l’instance, ce qu’elle n’avait pas fait précédemment, tous les éléments médicaux faisant le lien entre son état de santé et son taux d’incapacité relevé ci-dessus, et les violences conjugales subies de la part de son époux, lesquelles sont par ailleurs étayées par des attestations de voisins qui témoignent de disputes violentes et de propos violents par la voix de monsieur YYY. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la situation de besoins de monsieur YYY précédemment retenu pour condamner madame XXX à lui verser une pension alimentaire au titre du devoir de secours est valablement remise en cause par les éléments nouveaux apportés à l’instance par madame XXX, contre lesquels monsieur YYY n’apporte aucun moyen de défense. La pension alimentaire au titre du devoir de secours précédemment fixée à 800 euros par mois, sera en conséquence réduite au montant de 400 euros, compte tenu de la nécessité pour monsieur YYY non contestable, de devoir faire face à ses frais de logement, pour avoir du quitter le domicile conjugal qui est une bien appartenant en propre à madame XXX« .

Comment un avocat peut-il expliquer une telle décision à sa cliente ?

Vers une évolution de la prise en charge des violences économiques ?

Contrairement au droit à prestation compensatoire, pour lequel le législateur a prévu que le créancier soit déchu en cas de divorce pour faute, il n’en est pas de même pour la pension alimentaire due au titre du devoir de secours. Cette situation doit impérativement changer. La victimes est donc destinataire d’une injonction paradoxale : on lui demande de déposer plainte et de parler, mais dans le même temps cet effort n’est pas suivi d’une protection suffisante de la loi.

Si il faut saluer les initiatives telles que la plateforme MEMO DE VIE de FRANCE VICTIME, il n’en demeure pas moins que des évolutions législative de fond seraient souhaitables, pour prendre en compte de manière plus adaptée à la réalité du terrain les situation des victimes que les avocats reçoivent à leur cabinet.