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Les fonctions de la procédure civile

vendredi 28 septembre 2018

Les fonctions de la procédure civile sont source d’une évolution importante tant du point de vue de la mise en oeuvre du droit, que du droit lui-même. C’est qu’elle participe, inévitablement de  son exécution, et par là l’influence nécessairement.

Le professeur émérite Serge GUINCHARD résumait l’idée de cette double fonction en ces termes : « la procédure est le passage obligé du droit à sa réalisation ».

Mais alors quelles sont véritablement les fonctions de la procédure civile ?

Fonction et procédure ? deux termes pourtant antinomiques d’un point de vue purement scientifique : propre à une seule opération pour l’un mais reposant sur une instruction composée pour l’autre. Deux termes mathématiques, deux utilités distinctes, et finalement une ambivalence en écho au contexte de dé judiciarisation actuelle de la procédure au profit de résolution algorithmiques des litiges. La procédure a-t-elle encore un avenir en l’absence de procès ?

En son sens étymologique « procedere » désigne la mise en mouvement d’un processus. Cette action mécanique de mise en avant se traduit dans le domaine juridique par l’exercice d’une action en justice, par l’accomplissement de formalités nécessaires à l’échange entre les parties, par les prétentions, par l’exercice des voies de recours et ce jusqu’à l’exécution du jugement. Un rituel pourrait-on dire, lorsque l’on proclame que toute personne à la droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal impartial et indépendant.

Une marche en avant indispensable à l’application équitable, publique et dans un délai raisonnable du droit. La procédure est le moyen de parvenir à un résultat juridique indéterminable, selon des critères déterminables. Et c’est en cela que sa fonction est double car loin de se contenter de tracer une route vers un résultat, elle en assurera aussi le cadre de collaboration et d’élaboration.

Néanmoins, la procédure civile n’est pas seulement une série chronologique d’actes et de formalités à accomplir ; elle assure aussi, par les apports casuistiques de la jurisprudence, le renouvellement des sources du droit; initie des mutations sociales liées à l’idée de justice et par là même contribue à la réalisation du droit suivant les mots de Serge GINCHARD. L’application rigoureuse de la procédure comme logique de moyens est ce qui permet à la justice de rendre des décisions vues comme justes par les justiciables. On touche là à l’essence même de la manifestation suprême de la puissance publique, car dans une société démocratique, la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi donner le sentiment de l’avoir été. Les deux logiques sont inhérentes à la procédure civile en particulier ; elles sont indubitablement corrélées. Et c’est d’ailleurs en retenant cette acception que certains lui préfèrent l’appellation de droit judiciaire privé ; dénomination pourtant controversée tant la conciliation entre la sanction de droits subjectifs propres au droit privé et la finalité de la procédure en l’organisation et au fonctionnement du service public de la Justice est discutable. Il n’en demeure pas moins que la procédure civile lie entre elle l’exigence du formalisme et l’exigence de justice. Elle permet l’épanouissement de la jurisdictio pourtant bien mise à mal par le projet de loi de programmation pour la Justice 2018-2022.

En effet dans un contexte de réforme de la justice, la procédure oscille entre productivité et protection des droits fondamentaux ; il s’agit là pour les réformateurs de concilier une fonction de « gestion des flux » à une fonction protectrice des droits et libertés fondamentaux des justiciables; allier la technique procédurale à l’humanisme processuel.

Mais comment coordonner les deux sans recourir au juge ? Tel n’est pas son office, à partir des faits des parties, de déterminer le droit applicable à la résolution du litige tout en garantissant un équilibre entre les droits des parties et en assurant sa légitimité à la procédure ?

Les fonctions de la procédure sont-elles désormais seulement formelles ?

Si c’est bien au juge qu’il revient d’assurer la qualité de la procédure elle même ; si sa qualité repose sur son formalisme lequel lui confère son utilité pratique, il reste évident que c’est bien sur son application casuistique dans la mise en œuvre de cet humanisme processuel qu’elle en tire sa plus forte valeur.

Alors entre procédure de forme et procédure de fond, elle évolue ; parfois servante du justiciable, parfois servante du droit elle demeure essentielle à l’élaboration de l’oeuvre de justice dans l’intérêt des justiciables et de la société. D’une fonction d’équilibre subordonnée aux formalités à une fonction instrumentale permettant la réalisation et l’effectivité des droits substantiels, la procédure combine cette double fonction pour assurer « le passage du droit à sa réalisation ».

Afin de mesurer l’étendue des fonctions de la procédure, il s’agira d’envisager d’une part la procédure civile d’un point théorique comme répondant à une logique de moyens par l’accomplissement de formalités processuelles (I) pour d’autre part constater qu’en pratique, une fois ce formalisme assoupli, elle répond davantage à une logique de résultat en « prenant tout son sens dans le service qu’elle rend » (II).

I. Un rituel procédural au service d’une élaboration sereine du droit

Classiquement, la procédure est envisagée comme répondant à une logique de moyens en ce qu’elle accomplit une série de formalités (A) dont l’application permet d’aboutir à un résultat : la garantie du critère de juridicité (B).

A : une procédure asservie à la technique procédurale

C’est en répondant à une logique de moyens que la procédure civile porte ses enjeux d’un formalisme juridique (1) à une véritable reconnaissance de principes processuels (2)

1/ du formalisme juridique

La fonction essentielle de la procédure repose sur la notion d’ordonnancement. En effet c’est parce qu’elle répond à des règles de forme strictes lesquelles organisent le procès, qu’il existe un véritable ordre procédural. Pour autant bien qu’elle se caractérise par son formalisme mais aussi son impérativité, la procédure a eu tendance à s’assouplir au point que le Code de procédure civile a allégé la sanction des irrégularités pour vice de forme. En effet, l’article 114 du CPC selon lequel la nullité des actes pour vice de forme ne peut être prononcé qu’à la condition que celui qui l’invoque prouve que l’irrégularité lui cause un grief ; le législateur a simplifié certaines procédures en atténuant les exigences d’écrit

2/ à la reconnaissance de principes processuels

C’est de l’accent qu’elle met sur de grands principes afin d’équilibrer la recherche de la paix et de l’humanité que la procédure tire sa légitimité. Les principes processuels, constitutionnellement garantis, tels que le droit au juge, le droit à un procès équitable, les droits de la défense ou encore l’égalité des armes permettent de protéger les justiciables contre l’arbitraire du juge ou la déloyauté des parties

C’est ainsi progressivement par la reconnaissance de ces principes directeurs que la procédure s’est dotée du critère de juridicité.

B : une procédure asservie au critère de juridicité

La juridicité s’entend comme l’art de dire par le droit ; on applique aux faits des règles de droit ; ainsi la procédure dans sa pratique organisationnelle dicte aux parties en présence les instruments dont elles disposent pour faire valoir leur droit : un droit au juge (1) et un droit au procès équitable (2).

1/ l’instrumentum du droit au juge

Le strict formalisme de la procédure nécessite la présence du juge, c’est le recours juridictionnel. Ainsi, la juris dictio permet la sanction de droits subjectifs. De plus, certains auteurs font de l’accès au juge le critère même du droit ; la juridicité d’une règle dépendrait de facto, de la possibilité qu’elle soit soumise au jugement d’un tiers impartial en cas de litige. Ce droit au juge assure la réalisation de droits substantiels en sa qualité de droit sanctionnateur.

In fine, si la procédure répond à des exigences formelles il relèvera de l’office du juge de s’assurer qu’elles sont effectives et régulières.

2/ l’instrumentum du droit à un procès équitable

La procédure civile doit être l’instrument d’un procès équitable, principe garanti par l’article 6§1 de la CEDH. Autrefois inquisitoire, la procédure répond désormais à un exigence à la fois d’équité mais aussi au respect du principe du contradictoire. Contrairement au droit anglais, l’équité n’est plus une exigence de forme

Certes, la technique procédurale a une utilité théorique mais elle l’est bien plus en pratique dans la mise en œuvre de l’humanisme processuel. Cependant, si l’application formelle du droit permet de résoudre un litige, ce sont les faits qui pourvoient à son approvisionnement. In fine, ce formalisme dans la pratique s’est légèrement assoupli au profit d’une justice plus arbitrale et essentiellement fondée sur la protection des parties. L’application rigoureuse de la procédure comme logique de moyens en ce qu’elle permet à la justice d’être effective et de protéger les intérêts en présence, répond désormais davantage à une logique de résultat.

II. Un rituel au service d’une réalisation concrète de la justice

C’est parce qu’elle s’en tient à sa finalité essentielle, à savoir le droit au service du droit, que la procédure répond davantage à une logique de résultat : l’oeuvre de justice. Dire le droit dans un contexte serein n’est pas suffisant. Le justiciable doit percevoir que la décision est rendue dans le respect de ses droits. En tant que procédure protectrice, garante des droits substantiels, elle entend d’une part servir l’humanisme processuel (A) et d’autre part s’assurer de la bonne applicabilité de la justice (B).

A : une procédure au service de l’ humanisme processuel

L’humanisme processuel est bien plus fort ces dernières années par l’émergence de nouvelles pratiques procédurales non formelles qui tendent à protéger les droits substantiels (1) et harmoniser la protection à la fois de l’intérêt général et des intérêts privés (2).

1/ l’action en justice comme garantie des droits substantiels

L’action en justice est le mécanisme par lequel la garantie des droits substantiels est assurée. C’est d’une part par la simplification de la procédure dans l’accès au droit mais aussi par le choix laissé aux parties en présence de recourir à une procédure contentieuse ou gracieuse que de tels droits sont protégés. Les parties sont de véritables acteurs de la procédure : elles peuvent, dans une moindre mesure, modifier les règles de procédure ou exercer leur pouvoir dans l’établissement des faits. Désormais le juge est davantage en retrait en raison du développement des modes alternatifs de règlement des litiges.

2/ l’harmonisation recherchée des intérêts en présence : entre humanité et paix sociale

Si la procédure permet la sauvegarde de l’intérêt général par l’organisation du service public de la Justice, elle vise également à protéger les intérêts privés. Ainsi d’une part, le bon fonctionnement du service public de la Justice permet d’avoir un système politique contrôlé mais aussi d’offrir aux particuliers la sécurité juridique qu’ils sont en droit d’attendre Le caractère impératif de la procédure étant d’ordre public, son respect impliquera nécessairement le respect des intérêts au moins de l’une des parties. L’applicabilité de la procédure formelle ou non formelle répond à la seule finalité de garantir la justice au justiciable.

B : une procédure au service de la justice

1/ une logique de résultat assurant la justice

C’est par la nécessité de rendre le droit effectif que la procédure profite à la justice. En cela, la procédure n’a pour seule finalité que celle de rendre la justice. Il s’agit en effet de rétablir l’équilibre des parties La procédure est essentielle à la réalisation de la justice ou plutôt au sentiment que la justice a été correctement rendue : John Rawls voyait la justice comme l’équité : il a en effet développé un concept de justice procédurale selon lequel une procédure correcte ou équitable détermine si un résultat est également correct ou équitable quel qu’en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été correctement appliquée. Ainsi la légitimité d’une décision de justice est tout autant liée à son contenu même qu’à la procédure suivie pour parvenir à la décision.

Cette idée de légitimation par la procédure a permis de mettre l’accent sur l’importance de grands principes de procédure et a permis de reconnaître des droits subjectifs directement liés à la procédure permettant d’éviter tout recours à l’arbitraire.

2/ la protection contre l’arbitraire

En réglementant le déroulement d’un procès, la procédure assure l’impartialité et l’indépendance du juge. Le formalisme est aussi un instrument de garantie des droits et d’égalité entre les parties en conflit : Hiering, juriste allemand affirmait que « l’ ennemi juré de l’arbitraire la forme est la sœur jumelle de la liberté » ; de même, le Code de procédure civile contient des dispositions dont le but est d’éviter que le formalisme aboutisse à des contentieux artificiels